Iquitos est la plus grande ville du monde que l’on ne peut rejoindre qu’en avion ou en bateau. J’ai choisi la seconde option et embarqué pour une aventure de trois jours où le voyage importe plus que la destination.
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Samedi 11 novembre
On nous avait dit que le cargo partirait à midi, puis à 15h30 puis à 18h30. Il est 21h30 et nous sommes toujours amarrés au port de Yurimaguas. Cela fait déjà 12 heures que l’on a installé notre hamac et depuis ce matin, nous avons plein de nouveaux voisins. Essentiellement des gringos. Une dizaine, au milieu de la centaine de passagers. Arturo, le voisin de hamac de Gaby, mon ami argentin, attend depuis hier !
Il fait nuit. Des chauves-souris dessinent des cercles sur le fleuve et les hommes continuent de charger les caisses que livrent les camions. Des milliers d’œufs, des tonnes de mangues, des choux énormes, des oignons, du maïs et même un frigo et trois mototaxis. En tout, près de 1.000 tonnes de marchandises transportées jusqu’à Iquitos, dans la “jungle basse”, celle qui est régulièrement inondée et où il est impossible de produire des légumes. Rien d’autre à faire que patienter.
Les enfants ramassent des papaso, de gros scarabées noirs qui s’échouent sur le pont et se rassemblent autour des artistes qui ont sorti leur guitare. Tandis que certains se demandent si l’eau de la douche provient du fleuve ou des réservoirs installés sur le toit, d’autres s’en grillent une sur le pont et les plus impatients commencent à crier “VAMOS !”. Tout le monde est suspendu à la fin du chargement.
Les caisses de mangues et les palettes d’œufs occupent la moitié du pont inférieur et les hamacs sont installés en quinconce, à quelques centimètres à peine les uns des autres. Mes pieds peuvent toucher la tête de mon voisin de devant et mon voisin de derrière peut me chercher des poux avec ses orteils. Les enfants courent entre les hamacs colorés qui dessinent comme un arc en ciel sur le pont bleu ouvert à tous les vents. Le mien est le plus beau, évidemment.
Dimanche 12 novembre
5h30 du matin, le bateau se réveille au milieu d’une brume épaisse. On distingue à peine la forêt dense qui s’étale de chaque côté. Endolorie par la courbure de mon hamac, je termine la nuit sur le sol. Le personnel du bateau a relevé les lourdes bâches bleues rabattues la nuit sur les côtés pour nous protéger de la pluie et des moustiques. Un rayon de soleil s’infiltre et brille sur les mandalas colorés que j’ai tissés et accrochés au hamac de ma voisine. La guitare de Gaby, suspendue aux tuyaux du plafond pend au milieu des gilets de sauvetage oranges. Je me tape la tête dedans à chaque fois que je sors de mon hamac. D’ailleurs pour aller aux toilettes la nuit, c’est toute une aventure. D’abord, il faut descendre de son hamac sans tomber et sans écraser les mangues et les oranges que l’on entrepose où l’on peut. Ensuite, il faut se frayer un chemin entre les nombreux hamacs sans cogner dans la tête d’un passager. Ma technique : me faufiler sous les tissus colorés à quatre pates.
En me frayant un chemin vers les toilettes, je découvre que de nombreux autres hamacs ont été installés sur les côtés, à côté des palettes d’œufs, compliquant encore plus les déplacements. On déjeune d’un bol d’avoine avec du pain et du beurre. Les plus aventureux osent une douche grand luxe : un simple robinet vissé au plafond, presque au dessus de la cuvette des toilettes.
Le bateau file lentement sur le fleuve marron dont l’eau semble épaisse, presque visqueuse. De chaque côté, la jungle s’étend, verte et impénétrable. Parfois, les grands arbres cèdent la place à une vaste pampa aux herbes hautes. Nous guettons les dauphins roses qui apparaissent de temps en temps à la surface de l’eau. Je m’installe sur le pont supérieur, à l’ombre, pour écrire et tisser des mandalas. Rapidement, les enfants se regroupent autour de moi et remplissent les pages de mon carnet de petits dessins d’animaux. Natalia, une petite brune, et sa nièce Angelica, à peine plus jeune qu’elle, veulent apprendre à fabriquer les « ojos de Dios » et je me retrouve aussitôt animatrice de colo.
A côté de moi, Gaby a à peine sortie ses fils de macramé pour me tisser un collier qu’une vieille dame lui commande un bracelet avec des pierres. Son commerce démarre bien ! Il faut dire que c’est un très bon vendeur.
Dans l’après-midi, je me réveille d’une petite sieste avec l’impression d’être dans une ruche. Il y a beaucoup d’agitation. « On est arrivés à la première ville, Lagunas », me dit Gaby. Je me rendors à moitié tandis qu’une dizaine de vendeurs à la sauvette en profitent pour grimper sur l’Eduardo VIII. « Hay chicha ! » « Hay piña ! » « Hay choclo ! » Une chose est sûre, ce n’est pas sur ce bateau que l’on va mourir de faim. Gaby se met en quête d’un juaney, un plat typique de la selva péruvienne composé de riz, de poulet et d’olives, cuits dans une feuille de bananier. De nouveaux passagers montent à bord et s’installent sur le pont déjà saturé. La tempête se calme et nous repartons voguer tranquillement sur les eaux du Huallaga, affluant de l’Amazone.
C’est à la tombée de la nuit que se produit l’improbable. Le bâteau fait escale à Nueva Alianza, une petite communauté aux maisons de bois. « On va voir s’il y a de l’eau », me lance Gaby alors que je regarde les hommes décharger des dizaines de bidon d’huile de moteur. Je n’ai pas le temps de réagir que mes deux amis ont déjà sauté sur la rive. Je guette la fin du déchargement, anxieuse. Il n’y a pas d’eau dans la première boutique et je vois Gaby et Tony courir dans la direction opposée. Je les perds de vue. Un bidon d’huile, deux bidons, trois bidons …. « Ya listo ! Vamos ! », crit un homme. Le conducteur enclenche le moteur. « Hey ! Mes amis, ils sont là bas ! ». Le mec sonne un bref coup de klaxonne et enclanche la marche arrière. « Mais ! Mes amis !!!! ». Je cris. Il m’ignore. Je lui tape sur l’épaule. « Mes amis ! Ils ne sont pas remontés sur le bateau ! ». Le conducteur se retourne, impassible et me lance, le regard glacial : « Va parler avec le capitaine ! » Le bateau recule doucement. Trois mètres à peine lorsque Tony et Gaby arrivent en courant, la mine déconfite.
Je cours sur le pont inférieur à la recherche du capitaine. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Et il fait nuit. Quand je le trouve enfin, il m’engueule : « Ce n’est pas un bateau de croisière, personne ne doit descendre, surtout sans prévenir !!! Ils vont nous rejoindre. » « Mais comment ? ». Le capitaine a déjà tourné les talons.
Je remonte sur le pont supérieur où, entre deux crises de rire mêlées à un peu d’angoisse, je raconte ce qui se passe à mes compagnons chiliens et brésiliens. Ils explosent de rire. Franchement, il n’y a qu’à nous que ça arrive ces choses là !
Au loin, un faisceau lumineux apparaît et disparaît. C’est eux ! Non. La rumeur va et vient qu’ils sont en train de nous rejoindre ou qu’ils reviendront demain avec un bateau rapide. Je suis sûre que je suis plus inquiète que ces deux couillons. Après une quinzaine de minutes, la lumière de la petite barque se rapproche et on distingue leur visages, souriants. Ouf !
« Pour moi, c’était un cadeau ! Voguer dans cette petite barque, sur le fleuve immense, dans la nuit ! », clame Gaby, trempé de la tête aux pieds, en nous rejoignant sur le pont. En effet, j’étais plus inquiète qu’eux.
On sort la guitare et tous nos instruments de musique pour un petit concert sous la splendeur du ciel étoilé. On profite de ce voyage incroyable, comme un peu éméchés par tant d’émotions.
Lundi 13 novembre
Il a plu toute la nuit. Le ciel est gris. Sur le pont supérieur, on partage notre ananas avec les enfants et nos amis. Les jeux de logique en fil de fer inventés par Gaby font le reste. Tout le monde se regroupe autour de nous pour un concert improvisé avec un évangélisateur péruvien qui revient d’une mission dans les communautés.
Le bateau poursuit son long chemin en s’arrêtant régulièrement dans des petites communautés. Les cabanes de bois, parfois sur pilotis, sont alignées au bord du fleuve, à côté de l’immanquable stade de foot. A chaque fois, les habitants semblent attendre le cargo comme un grand événement qui les sort de leur routine. Ils se rassemblent pour décharger les vivres qui leur permettront de patienter jusqu’au prochain bateau.
« On ne voit jamais le visage de la sirène, seulement ses cheveux qui brillent dans la nuit ». Les enfants me racontent des légendes où les sirènes côtoient les gringos tranformés en dauphins roses.
Les puissants orages laissent place à un ciel où brille une lumière intense. Des dauphins roses sautent autour du bâteau et peu à peu le ciel prend des tournures violettes, roses, orangées. J’ai vu sur ce bateau les couchers de soleil les plus grandioses de ma vie. Après la chaleur écrasante de la journée, une brise rafraichissante souffle. L’instant est magique. Quand on regarde dans les jumelles, les arbres défilent comme les vieux décors de dessins animés en carton-pâte que l’on actionne avec une manivelle.
La plupart des passagers, lassés par le voyage descendent à Nauta. De là, l’unique route rejoint Iquitos en un peu plus de deux heures. On opte pour passer la nuit sur le bateau. Plus que douze heures et nous serons à Iquitos. Sur le pont supérieur, nous ressortons la guitare et dansons sous le ciel étoilé. Ça y est ! Après avoir vogué sur le Huallaga et le Marañon nous sommes sur le mythique Amazone ! Une agréable sensation de plénitude m’envahit, mélée au bonheur d’avoir réalisé un rêve d’enfant.
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