10 février 2018,

On m’avait dit “départ à 8 heures”. Dans le doute, peu après 7 heures, j’ai quitté l’hôtel et traversé la ville encore toute humide après l’orage de la nuit. Odeur d’humidité, sensation d’humidité. Un sac devant, l’autre derrière, j’avance comme embarrassée par tout ce poids. J’ai à peine marché 5 minutes dans la moiteur étouffante que je transpire déjà. Et les gouttes tombent à nouveau. Les motos taxis s’affrontent dans un concert de klaxons. Ça m’énerve. Puis les auto taxis me hèlent, rabatteurs dodus, le ventre en avant : “Tingo-Maria !” “Tingo-Maria”. “No gracias!”. Rejoindre le terminal de bus, c’est la première aventure du matin. Il faut échapper à tous ces mecs qui veulent te faire grimper dans leur véhicule, quel qu’il soit. La prochaine fois, je brandirai un panneau avec un gros “NO!”.

7h20. Quand j’arrive au terminal, la tête de la vendeuse n’augure rien de bon. Il n’y a pas de bus stationné devant le portail. Soit il n’est pas encore arrivé, soit… “il est déjà parti”. “Mais ! On m’avait dit….”. Elle pointe du doigt la compagnie d’en face. “Amazonas, ils y vont aussi.”

Droite, gauche, je traverse d’un pas vif. Peur de voir le bus partir sous mon nez. Le vendeur, vite le vendeur. “Il y a encore plein de place! C’est 25 soles”. Pas le temps pour le petit déj, j’attrape un paquet de bananes séchées, balance mon gros sac dans la soute et grimpe dans le bus. C’est le bordel. C’est crade. Le bus a quitté Lima la veille et ça se sent qu’une quarantaine de personnes vivent dedans depuis douze heures. Ça sent le fennec, comme dirait ma sœur. Un mélange de sueur et de poussière. Emballages de gâteaux et bouteilles en plastique jonchent le sol. Les rideaux sont poussiéreux, les sièges vieux et tachés. J’en choisi un au hasard mais son propriétaire revient de sa pause pipi. Un deuxième. Idem. “Et celui-là, il est libre ?” “Oui, oui”. Mon voisin, la trentaine, dodu, le cheveu ras me salut vite fait et se rendort. Je galère à allonger mon siège. Argh, il est coin…cé. Il n’y a pas de place pour les jambes. J’aurai bien aimé une place près de la fenêtre. Tant pis. On part. Je m’endors.

Pas longtemps. “Et si on ne fait rien, le parasite grandit, grandit, grandit et peut sortir par le nez, vous voyez. “Photos à l’appuis, l’homme, bien habillé et bien peigné récite un discours bien rôdé. “Heureusement, il y a une solution!”, crit-il en montrant un sachet de poudre. Derrière les sièges, les têtes se lèvent et se baissent aussitôt. La mienne reste aux aguets. Ça me fait rire.

Il se passe toujours des trucs dans les bus péruviens. Dans les gros bus climatisés où montent la plupart des touristes, je n’en sais rien, je ne les prends pas. Mais dans les bus où grimpent les péruviens, ces machines infernales qu’on imagine mieux dans une casse que sur une route, là oui, il se passe des trucs.

Le mec avance dans l’allée en brandissant son produit miracle. Certains se laissent tenter. Une demi heure plus tard, il descend après avoir essayé de refourguer une poudre pour les douleurs d’estomac, un baume pour les muscles et un savon pour l’acné.

A peine le temps de profiter du paysage qu’un vendeur de poulet le remplace, rapidement suivit d’un homme armé qui avance dans l’allée en demandant une “contribution”. Je tape sur l’épaule de mon voisin qui a succombé au poulet frit. “C’est pour quoi ?” “Il y a des voleurs sur cette route, du coup il va rester avec nous pendant quelques kilomètres. “Ok. Mais pourquoi il demande de l’argent, il est pas payé?” “Non, ce sont des habitants du villages qui font ça bénévolement”. Quand je vous dit qu’on s’ennuie pas…

Pendant ce temps, le bus grimpe difficilement sur l’étroite route de montagne. A gauche, le ravin. A droite, une multitude de petites cascades déversent leurs eaux pures sur la paroi rocheuse. Un virage, deux virages, trois virages. Une femme vomit dans un sac plastique. Quatre virages. Le bus s’arrête. Tout le monde s’affole. “Mas qu’est ce qui se passe ?” Les passagers descendent. Moi aussi. Trois voitures sont arrêtées devant nous. Glissement de terrain à cause de la pluie. Les hommes s’activent pour déplacer les rochers tombés sur la route mais le plus gros leur résiste. J’en profite pour me dégourdir les jambes et regarder le paysage. On est aux portes de la jungle, là où la montagne se mêle à une forêt dense et exotique. Déjà les bananes, les noix de cocos et les papayes. En contrebas de la route, le fleuve gronde, puissant, marron. On est au bord du précipice.

On remonte. Odeur de sueur et de poussière. Bruits de pas qui piétinent un emballage ou butent dans une bouteille en plastique. Soupirs de soulagement. Plus que quatre heures de voyage si tout va bien.

 

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