A Sotuta, dans le Yucatan, une bande de 12 jeunes développe un projet de vie communautaire basé sur quatre grands principes : l’éco-construction, l’agriculture bio, l’éducation et l’échange.

La communauté Zutut’ha est composée de 12 membres. Crédit : Zutut’ha

“Bonjour, je cherche le bar Las Gaviotas”. Le commerçant me regarde et désigne mon énorme sac à dos. “Ah oui, tu cherches les jeunes qui vivent à côté, non ? C’est par là.” Pas besoin d’entrer dans les détails. Ici, à Sotuta, un petit village d’environ 8.000 habitants dans le sud du Mexique, tout le monde connaît la communauté Zutut’ha. Il faut dire qu’elle est composée de 12 jeunes qui ont débarqué de la capitale il y a maintenant deux ans. “Au début, les gens étaient un peu méfiants quand ils nous ont vu débarquer, il y en a qui disaient qu’on étaient des hippies, des narcotrafiquants ou qu’on allait construire un aéroport”, se souvient Gato, l’un des membres de Zutut’ha.

En fait, les membres de cette communauté ont bien l’air de hippies mais ne sont ni des narcotrafiquants, ni des milliardaires, ni des repris de justice qui se cachent. Gato, Dany, Arnaud, Dalí, Sam, Emmanuel et les autres sont une bande de potes, tous plus ou moins militants, venus ici réaliser leur rêve : vivre ensemble et cultiver la terre pour parvenir à l’autosuffisance.

 

 

 

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Le projet n’est pas né sur un coup de tête. Certains membres de Zutut’ha vivaient déjà ensemble depuis quelques années à Mexico City. Là bas, il ont organisé quatre éditions du festival Kupuri, un rassemblement artistique multidisciplinaire pour partager leurs valeurs. “C’était super mais au bout de quatre ans, on s’est rendu compte qu’on avait envie d’investir dans quelque chose de durable, pas de travailler toute une année pour seulement quelques jours”, explique Gato. “On a eu envie de mettre en place ce changement dans notre vie quotidienne”, ajoute Daniela.

Depuis plusieurs années, la jeune femme de 28 ans ressentait le besoin de quitter la ville pour vivre plus près de la nature. “La vie que nous vivons aujourd’hui ne prend pas en considération les autres, ni les ressources de la planète. Ces dernières ne sont pas vues comme quelque chose dont nous avons besoin pour vivre mais seulement comme quelque chose à consommer.” Créer un lieu qui soit plus respectueux de la planète et dans lequel ses habitants vivent en harmonie avec leur environnement, c’est dans cet objectif qu’est né Zutut’ha.

Aidés par Luis et Valentin, deux habitants du village, les jeunes agriculteurs apprennent à travailler sur leur terrain boisé. Ils en cultivent aujourd’hui une petite partie où poussent des légumes, et des arbres fruitiers. “Il n’y a pas de secret, il faut observer le terrain et s’y adapter. On porte une attention particulière à la fertilité du sol, en essayant d’apporter à la terre plus que ce qu’on lui prend”, explique Arnaud, chargé de l’agriculture à Zutut’ha. Pour cela, l’équipe cultive plusieurs composts qui sont mélangés à la terre. Et le secret pour les rendre plus riches, c’est d’y ajouter du charbon.

 

“Il n’y a pas de secret, il faut observer le terrain et s’y adapter.” – Arnaud, 29 ans, membre de Zutut’ha

Un matin avec Arnaud, Gato et Lourdes, une volontaire venue de Guadalajara, on s’est lancés dans la fabrication de l’or noir. On a rempli un énorme bidon avec des petits bouts de bois, mis le feu, et installé un couvercle avec une cheminée pour créer un “processus de combustion incomplète”. La fumée du départ nous a un peu inquiétés et puis on a vu le gaz sortir par la cheminé. Une heure plus tard, on a déversé au sol le contenu du bidon. Arnaud a pris un morceau entre ses doigts : “Il faut que ça craque comme du verre.” Le petit bruit nous a tous fait sourire ! Notre charbon est parfait !

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Autre gros chantier du moment, débroussailler environ 2 hectares pour y semer une milpa. “Il s’agit d’associer le maïs, les haricots et les citrouilles. Les haricots aident à fixer l’azote dont le maïs a besoin”, précise Emmanuel en nous faisant visiter le terrain.

Débroussaillage à la machette

 

Sur ce terrain, plusieurs constructions ont déjà été réalisées principalement avec des matériaux (bois et pierres) de la zone : un lieu de vie commun qui inclue la cuisine, un atelier et des toilettes sèches. Lors de la visite, Emmanuel nous enmène à ce que l’équipe appelle la mine. “D’ici on extrait une terre blanche que l’on utilise pour les contructions comme le faisaient les Maya.”

 

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Pour l’instant, le projet de Zutut’ha est financé par deux sources principales : les volontaires dont la petite contribution permet de couvrir les frais de base (alimentation, gaz, électricité etc) et l’apports de deux financeurs extérieurs qui permet d’investir pour développer le projet. A terme l’objectif est que l’apport généré aujourd’hui par la petite production de miel se développe. Plusieurs autres options de revenus sont étudiés par les membres de la communauté dont la location d’un gîte, la vente de légumes de la ferme et la commercialisation de produits naturels.

 

“La vie que nous vivons aujourd’hui ne prend pas en considération les autres, ni les ressources de la planète. Ces dernières ne sont pas vues comme quelque chose dont nous avons besoin pour vivre mais seulement comme quelque chose à consommer.”- Daniela, 28 ans, membre de Zutut’ha

Tous, ont ressenti le besoin de créer un projet de vie qui ne bénéficient pas seulement à ses membres mais aussi aux autres et surtout aux habitants du village de Sotuta. C’est pour cela que Zutut’ha travaille avec plusieurs écoles. Avec les étudiants de la prépa, Daniela, Gato, Arnaud, Dalí et Raquel préparent une exposition de photos pour inviter les habitants à redécouvrir leur village.

“Nous venons tous d’un milieu privilégié alors il me semble important de faire notre part pour donner aux enfants de nouvelles opportunités”, me confie Daniela alors que nous attendons l’une de ses élèves pour aller prendre des photos de plantes médicinales. “Je pense que si les enfants ne profitent pas de tout ce que nous faisons, cela ne sert à rien”, ajoute-t-elle.

Gato enseigne la photo aux élèves de la prépa.

Depuis mon passage, l’expo a été réalisée. Un voyage visuel et sonore qui a remporté un franc succès. Dans les prochains mois, l’équipe s’attelera à un nouveau projet : créer une pièce de théâtre avec les enfants. “L’idée est que les enfants vont donner une sorte de cours d’éducation à l’environnement aux autres enfants et à tous ceux qui viendront les voir pour partager ce qu’ils savent du tri des déchets et de la phisolophie “zéro déchets”.

Le dernier matin, j’accompagne Dalí à l’école du village pour un atelier recyclage. Presque tous les jours, un des membres de Zutut’ha se rend dans cette école pour trier la poubelle avec les enfants. Agés de moins de 10 ans, ils nous accueillent avec de grands sourires et nous nous rassemblons autour des poubelles colorées, sans soupçonner le drame qui se joue à l’intérieur.

Quand Dalí ouvre la poubelle destinée au compost, il se rend compte qu’elle est pleine de déchets plastiques ! Comment éviter que cela se reproduise ? Après avoir écarté l’idée coûteuse d’une caméra de vidéo-surveillance, les enfants optent pour désigner un gardien de la poubelle. Nous restons une quinzaine de minutes pendant lesquelles les enfants trient les déchets dans les différentes poubelles. Ils ont les poches chargées de bonbons. En tournant la tête, je me rends compte que ce sont les institutrices qui les vendent ! J’ai du mal à y croire. “C’est comme ça depuis le début. On vient tous les jours. Les enfants comprenent le tri des déchets mais les instritutrices ne nous aident pas du tout. Je me demande si le changement que l’on souhaite arrivera un jour”, me confie Dalí sur le chemin du retour.

Dalí trie la poubelle avec les écoliers.

Une fois à la maison, on débriefe l’évènement avec certains membres de la communauté. En regardant les photos que j’ai prises Gato montre celle d’un petit garçon et a sourit, satisfait : “Tu vois, lui, c’est un des plus impliqués alors qu’au début il voulait rien savoir”. Une satisfaction qui se heurte à la dure réalité vécue par les habitants de Sotuta.

“Un jour, il y a un enfant qui m’a dit : “On pourait faire directement des écobloks (ndlr : bouteilles de plastiques remplies de papiers d’emballages) à la maison avec nos déchets pour construire des choses, non ?” “Oui! C’est une bonne idée!” “Oui, mais il y a un problème !” “Quoi ?” “Si on fait des écobloks avec des déchets, comment on va cuisiner? Parce que, quand on a pas assez d’argent pour acheter du bois, on brûle aussi ce qu’il y a dans la poubelle.” Gato est resté skotché ce jour là, comme nous quand il nous a raconté l’histoire.

Elmer est l’un des élèves les plus impliqués dans le recyclage

Niveau santé, les membres de Zutut’ha apprenent petit à petit les secrets des plantes médicinales locales. Dans ce domaine, leurs meilleurs profs sont leurs voisins. Le jour où j’ai débarqué à Zutut’ha, il y avait deux malades, Sebastian, l’un des membres de la communauté et Joy, un volontaire américain. Leurs symptômes : fièvre et douleurs articulaires.

José et Lisia, deux voisins d’origine Maya écartent rapidement la piste d’une piqûre de moustique. Pour eux, les garçons sont victimes d’un choc termique après s’être baigné dans un cenotte, ces trous d’eaux magnifique que l’on trouve partout dans le Yucatan. “Pour en être sûr, il faut les saigner. Si le sang n’est pas rouge mais noir, c’est ça”.

Nous sommes plusieurs rassemblés dans la cuisine. Nos regards se croisent. On s’interroge. Sur ce, José quitte la cuisine d’un pas décidé pour aller chercher un petit morceau de cristal. A son retour, sa femme pique trois fois le front de Sebas et l’intérieur de ses bras avec le cristal. Une goûte de sang s’échappe doucement. “Regarde, c’est noir! C’est ça!”. Fière de son diagnostique, Lisia frotte le corps de Sebas avec de l’acool en le rassurant “ça devrait aller mieux!”. Nous restons tous interloqués par cette démonstration de médecine Maya. Quelques jours plus tard, Sebastian s’est senti mieux.

Membres de la communauté, volontaires ou enfants du village, il y a toujours beaucoup de monde autour de la table

Il reste encore beaucoup à faire pour que Zutut’ha devienne une communauté autosuffisante. Mais déjà, en deux ans, ses membres ont énormément avancé. Ils voient l’avenir sereinement tout en profitant chaque instant du processus de création de leur projet de vie parce qu’il n’y a pas que la destination qui compte mais aussi le long voyage qui y mène.

Au boulot !

 

 

4 thoughts on “Zutut’ha : une communauté en chemin vers l’autosuffisance”

  1. Documentaire très instructif. Merci encore Angélique !Et bravo à toutes ces personnes qui ont pleins de bonnes initiatives ! Bonne continuation à tous !
    Bises !

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