A 1.000 km au sud de la capitale chilienne Santiago se trouve le territoire indigène Mapu Lahual. Ici, dix communautés Mapuche vivent des ressources de la mer et du fleuve, en harmonie avec leur environnement.

 

Mercredi 23 novembre,

A 6 heures du matin, Gladys frappe à la porte de ma chambre. Ni une ni deux, j’enfile mes vêtements et boucle mon sac à dos. Pas question de louper le bateau pour Caleta Huellelhue, il ne part que deux fois par semaine.

A pieds, il faut une bonne journée de marche pour rejoindre les communautés Mapuche. C’est le chemin que j’ai parcouru la semaine dernière avec David Nuñez, l’anthropologue avec qui j’ai découvert le territoire Mapuche Huilliche Mapu Lahual. Avant d’entamer nos 8 heures de marche, David s’est adressé en chesungun au Ngen de la forêt afin qu’il nous protège pendant notre périple. Le Ngen, c’est en quelque sorte l’esprit de chaque lieu pour les Mapuche. David m’a introduit auprès des différentes familles chez qui je retourne passer plus de temps.

La lancha navigue sur la mer jusqu’à l’embouchure du fleuve où un autre petit bateau vient nous chercher. Car entre la paroi rocheuse et la dune de sable, le passage est étroit voire dangereux si le temps est agité. Luciano et son fils m’aident à grimper dans l’embarcation avant d’échanger des marchandises avec l’équipage du grand bateau. Car ici, la lancha est le seul moyen d’envoyer des vivres d’une communauté à une autre. Le territoire Mapu Lahual en compte dix.

Je commence mon exploration dans celle de la famille Llancar-Kaniwan. Ici, Sergio et Méli, 70 ans environ, vivent avec trois de leurs cinq enfants. Leur vie est rythmée par le fleuve et les travaux de la ferme. Sergio a construit la majorité des embarcations des communautés. Il répare actuellement celle de Juan Fica-Takul qui vit en amont du fleuve.

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« Il faut savoir tout faire ici », m’explique Luis 40 ans en réparant sa tronçonneuse. « On est à la fois bucheron, agriculteur, mécanicien, pêcheur », précise le second fils de Sergio qui a quitté l’école à huit ans.

Pêcher, c’est justement ce que nous allons faire aujourd’hui. Mais ça, je ne l’ai pas compris tout de suite, car mon espagnol n’est pas encore tout à fait au point. Je suis donc Luis et son frère Enzo jusqu’à la remise, sans savoir ce qui m’attends. Luis sort un compresseur de la petite cabane en bois, puis une combinaison de plongée. « Tu peux prendre ça ? », me demande-t-il en désignant un long tuyau jaune. Nous chargeons tout cela dans la barque. Nous n’allons pas pêcher des poissons comme hier, mais des choros zapatos dans le fleuve. Kesako ? Des moules ! Mais rien à voir avec nos petits mollusques français. Celles-ci sont au moins trois fois plus grandes ! Luis enfile sa combinaison, s’équipe d’un masque, branche le tuyau sur le compresseur et plonge à la recherche des petits animaux. C’est un peu artisanal, mais ça fonctionne ! Lorsqu’il remonte à la surface, Enzo tranche un citron et nous dégustons les choros zapatos. Un délice.

Ainsi passent les jours dans la maison en bois de la famille Llancar, construite au bord du fleuve, au pied de la montagne. La cuisinière à bois fonctionne toute la journée. C’est elle qui permet à la famille d’avoir de l’eau chaude pour se laver. A l’heure du repas (4 par jour, j’ai l’impression d’être constamment en train de manger), Sergio allume la petite télévision et toute la famille se réunît devant une télénovella. « Nous avons le câble seulement depuis trois mois », précise Luis. « Avant, on regardait des vidéos. On en a toute une collection, mais on commence à les connaître par cœur ! », dit-il en riant. En ce qui concerne l’électricité, la maison est équipée de panneaux solaires depuis trois ans grâce à un programme financé par le gouvernement chilien. Avant, c’était bougie et groupe électrogène.

La vie se déroule tout aussi tranquillement chez Juan et Clara Fica-Takul qui vivent en amont du fleuve. Enzo m’y conduit dans sa petite barque motorisée. « Mi niña ! », s’exclame Clara en m’accueillant sous une pluie battante. J’ai l’impression de rendre visite à ma grand-mère. Retraités, Juan et Clara vivent seuls dans leur maison en bois. Tous leurs enfants sont partis vivre en ville. Clara tricote une paire de chaussettes. Je l’observe avant de dire : « J’ai appris a tricoter avec ma grand-mère mais j’ai un peu oublié … » Avec beaucoup de patience, Clara me montre les points. Je ne comprends pas très bien le vocabulaire technique, mais je m’applique en pinçant les lèvres. Doucement mais surement. On éclate de rire.

Quand la pluie cesse, nous grimpons dans la montagne chercher les vaches et nourrir le chien qui garde les 200 brebis. Entre forêt native, fleuve et champs de fleurs roses, le paysage est grandiose. «Nous avons presque toujours vécu ici et je resterai là jusqu’à ma mort », me confie Juan lorsque nous discutons sur les marches de la maison. « Tu vois, ce territoire, il nous procure l’eau, le bois et le soleil pour produire l’électricité. En échange, nous sommes là pour le protéger ». Juan vit de la culture de son jardin, de la vente de ses brebis, de la production de charbon. A cela s’ajoute l’hébergement des quelques touristes qui s’aventurent jusqu’ici et la petite la retraite qu’il perçoit pour avoir exploité l’alercé, l’arbre qui a donné son nom au territoire Mapu Lahual. Une vie de labeur, simple mais digne.

Dimanche 27 novembre,

5h30 du matin. Le réveil sonne. J’entrouvre le rideau. Il fait à peine jour. Pourquoi je me réveille si tôt ? Pour aller traire les vaches à la main ! Je pensais aider Juan et Clara mais ils ont un rythme de travail bien rodé. Alors, j’observe ce manège bien huilé. Le jour se lève tranquillement et le vent souffle doucement, dispersant petit à petit l’épais nuage qui cache la montagne. « Il va faire beau aujourd’hui », lance Juan.

Une fois le petit déjeuné avalé, je m’attaque à la production de fromage avec Clara avant de rejoindre Juan parti chercher du bois dans la montagne avec ses bœufs. Il mène à la baguette ces deux énormes monstres. Je suis impressionnée.

Jeudi 1er décembre,

« Galilea ! Galilea me copia ? ». La radio crépite. « Galilea ! Galilea ! » Galilea, c’est Rodrigo, le conducteur de la petite lancha qui doit venir me chercher pour quitter la maison de Juan et Clara. Mais Galilea ne répond pas. Enzo, qui assure la transmission entre la radio de Juan et celle de Rodrigo s’impatiente. Malheursement l’autre ambarcation que nous devons rejoindre ne peut pas attendre plus longtemps. « Tu partiras demain ! Bonne nuit !», conclue Enzo. Avec Clara, nous éclatons d’un rire un peu nerveux. C’est la seconde fois que le départ est décalé.

Finalement, j’ai quitté Caleta Huellelhue deux jours plus tard, car la mer était trop agitée. Au moins, j’ai vraiment vécu l’isolement que connaissent les gens ici. J’ai compris qu’il n’est pas facile de rejoindre et de quitter ces petits villages perdus au bord du fleuve. J’ai mesuré l’importance de la route en construction qui permettra bientôt de rejoindre plus facilement les communautés isolées. Qu’importe ! J’ai été réquisitionnée pour filmer la fête de l’école et nous avons fait griller un mouton pour l’occasion. L’école de Caleta Huellelhue est un peu particulière puisqu’elle ne compte qu’une seule élève : Yuli, 11 ans, la fille de la cuisinière de la cantine. « Toutes les familles quittent la communauté quand leurs enfants doivent étudier. Ils préfèrent aller en ville », m’explique Fanny, l’institutrice. « Ce n’est pas toujours drôle d’être la seule élève car je suis la seule à aller au tableau et je dois toujours rester concentrée », sourit Yuli.

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La plupart des familles Mapuche se sont installées ici, sur les terres colonisées de leurs ancêtres pour travailler l’alercé. « Cela a été leur principale ressource pendant les quatre-vingt dernières années mais aujourd’hui, ils ne peuvent plus l’exploiter et le commercialiser car ils n’ont pas les titres de propriété nécessaires », précise David Nuñez. En effet, les Mapuche Huilliches détiennent seulement 10 % des 60.000 hectares que représente le territoire Mapu Lahual. Le reste est entre les mains d’entreprises ou de propriétaires privés.

On appelle la terre “notre mère” car c’est elle qui nous donne tout : l’eau, les arbres, les plantes médicinales, la nourriture…”, Carlos Paillamanque, Lonko de la communauté.

« Nous nous battons aujourd’hui pour que le gouvernement chilien reconnaisse notre droit d’occuper notre territoire. Pour qu’il reconnaisse que nous sommes un peuple avec une structure politique et sociale. Nous ne faisons pas seulement partie de l’histoire mais nous sommes présents aujourd’hui et nous avons un futur », me confie Don Carlos Paillamanque, le Lonko de Mapu Lahual. Le Lonko, c’est le chef spirituel de la communauté. Un homme sage, cultivé, à la fois moderne et respectueux des traditions. Il constitue une sorte de référence, un pilier pour les autres membres de la communauté. J’ai eu la chance de partager, pendant quelques jours, le quotidien de cet homme incroyable.

Mais cela n’a pas été facile. La première fois que je l’ai rencontré, le Lonko m’a posé beaucoup de questions et a écouté mes réponses attentivement. Au fil de la conversation, sa moue dubitative s’est transformée en hochements de tête approbateurs et il a accepté de m’accueillir chez lui pour m’accorder une interview. Je pense que mes origines paysannes m’ont aidé à gagner sa confiance. Pendant des heures, assis sur la montagne face à la mer, nous avons parlé de la menace des grandes entreprises sur le territoire, du capitalisme, de la marche du monde et du rapport particulier que les Mapuche entretiennent avec la terre. « Nous considérons que nous faisons partie intégrante de la nature et de notre environnement. Tout cela fait partie de nous. C’est pour cela que l’on appelle la terre notre mère car c’est elle qui nous donne tout : l’eau, les arbres, les plantes médicinales, la nourriture », me confie-t-il. « Ma vie est ici, à la campagne. Jamais je ne pourrais vivre en ville, ce serait comme être en prison ».

Pour lui, l’enjeu aujourd’hui est de transmettre sa culture et sa langue, le chesungun, aux jeunes générations. Pour cela, le 22 novembre dernier, il a invité une centaine d’enfants venus d’autres communautés à partager un jeu de palín, une tradition mapuche. C’est un grand honneur pour moi d’y assister, surtout le jour de mon anniversaire. Avant d’entamer la partie, le Lonko orchestre une petite cérémonie. Interdiction de prendre des photos car cela pourrait interférer dans l’échange avec les Ngen. « Il faut que tu participes avec nous », me dit Carlos qui a revêtu ses vêtements traditionnels pour l’occasion, « car ce n’est pas un spectacle folklorique ». Nous nous réunissons et formons une grande ronde autour des branches d’arbres de Canelo et de Maki. Plantés dans le sol, ils symbolisent les racines du peuple, sa connexion avec la terre. A côté, la fumée du feu permet la connexion avec les Ngen. Les uns après les autres, les participants s’avancent pour verser du mudai, une boisson de blé fermenté, au pied des arbres et sur le feu. La cérémonie est rythmée par le son du kultung et de la trutruka, instruments de musiques traditionnels. Les enfants partagent ensuite plusieurs parties de Palín. Le but du jeu : placer la petite balle dans le camp adverse grâce à une crosse de bois. A plusieurs reprises, Carlos répète, « le but n’est pas de gagner ou de perdre, mais de partager un moment ensemble autour de ce jeu qui fait partie de notre culture ». Et cela suffit au bonheur des enfants.

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Finalement, j’ai quitté le territoire Mapu Lahual le samedi 3 décembre, en compagnie de l’infirmier qui était venu faire la livraison mensuelle de médicaments. Pour ne pas avoir froid, j’ai enfilé le bonnet en laine que m’a offert Clara. Mon ambition de tricoter mon propre bonne était un peu démesurée. « La prochaine fois tu reviendras plus longtemps pour pouvoir le tricoter toi même », m’a dit la vieille dame en me serrant dans ses bras, sur le ponton. J’étais émue. Je me suis dit qu’il faudrait avoir deux vie. Une, pour faire le tour du monde, et une seconde pour retourner voir tous ces gens uniques et généreux qui m’ont ouvert leurs portes et ont tant partagé avec moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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